La Cour des comptes vient de publier récemment un rapport sur l’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap au regard des dispositions de la Loi du 11 février 2005. Sur le papier, les chiffres ont triplé depuis 2022 et le système scolaire a su se transformer. Il n’en demeure pas moins qu’il manque de nombreuses données sur les élèves en situation de handicap partiellement, voire pas du tout scolarisé. Cette question de l’école inclusive dans sa réalité comme dans la manière dont on la perçoit est justement au centre de l’enquête réalisée avec l’IFOP et publiée par le collectif “Ma place est en classe”, regroupant 12 associations. Pour faire le point sur la situation et explorer les pistes de solutions, nous avons rencontré Emmanuel Guichardaz, responsable de projet et chargé de plaidoyer chez Trisomie 21 France.
Des chiffres en hausse, des réalités en panne
Depuis la loi de 2005, il est établi que « la scolarisation des élèves en situation de handicap dans le milieu scolaire ordinaire constitue en France un principe de droit ». En effet, le nombre d’élèves en situation de handicap a considérablement augmenté, passant de 155 361 en 2006 à 436 085 en 2022. Cependant, ces chiffres masquent une réalité plus complexe : de nombreux enfants ne bénéficient pas d’une scolarisation à temps plein et cela n’est pas recensé. Certains ne sont présents à l’école qu’une journée par semaine, d’autres seulement une heure par jour, et d’autres encore n’ont pas accès à la scolarisation.
En 2023, une étude menée par l’Unapei sur 2 103 enfants a révélé des résultats alarmants quant à l’accès à l’éducation pour les enfants en situation de handicap. Selon cette enquête, 23 % des enfants n’ont accès à aucune heure de scolarisation, 28 % bénéficient de 0 à 6 heures, 22 % de 6 à 12 heures, et seuls 27 % ont plus de 12 heures de scolarisation, par semaine.
Pour mieux connaître la réalité des situations, l’Unapei, qui est un réseau français d’associations de représentation et de défense des intérêts des personnes avec trouble du neurodéveloppement, polyhandicap et handicap psychique, a créé sa plateforme de témoignage : Marentree.org. Elle permet aux parents, élèves, professionnels éducatifs de témoigner des réalités d’exclusion partielle ou totale des systèmes scolaires et éducatifs des enfants en situation de handicap en France.
La formation des enseignants un enjeu majeur
Dans le récent rapport de la Cour des comptes, il est souligné un « recours massif aux AESH (Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap) au détriment des supports pédagogiques adaptés ». Si ces accompagnants sont essentiels, ils ne compensent pas le manque de formation du personnel enseignant. Les AESH, souvent recrutés avec une formation limitée, sont confrontés à des situations qui dépassent parfois leurs compétences et leurs moyens d’action, ce qui engendre un sentiment de dénuement, aussi bien chez elles et chez eux que chez les enseignants. Comme le souligne Emmanuel, « Les enfants ne resteront pas avec des AESH toute leur vie », ce qui pose la question de la durabilité de cette solution.
Cette situation est également mise en lumière par le collectif “Ma Place est en Classe”, dont les conclusions reflètent les préoccupations partagées par les parents, enfants, enseignants et professionnels de santé. Tous s’accordent sur l’urgence d’améliorer la formation du personnel enseignant, de réduire la surcharge des classes, de les adapter davantage aux besoins spécifiques des élèves, et de collecter des données plus précises pour orienter les politiques publiques.
La plateforme Marentrée a d’ailleurs recueilli 880 témoignages de familles confrontées à des difficultés lors de la rentrée scolaire. Ces témoignages révèlent des situations d’enfants ayant besoin d’un accompagnement spécifique, mais orienté vers des structures inadaptées, comme l’école ordinaire. Cette orientation se fait souvent après de longs délais, avec des refus répétés et des décisions tardives, voire incertaines, laissant les familles dans une situation d’incertitude ayant un impact sur le développement de l’enfant.
Des inspirations venues d’ailleurs
En 2023, la France a été pointée du doigt par le Comité européen des droits sociaux, qui rappelait que « le droit à une scolarisation inclusive est le droit pour chaque enfant, quel que soit son handicap, de participer à l’école, en tenant compte de son intérêt supérieur ainsi que de ses capacités et besoins éducatifs ».
Pendant ce temps, d’autres pays européens, comme l’Italie et la Suède, se distinguent par des exemples inspirants. En Italie, dès les années 1970, les écoles spécialisées ont été fermées afin de promouvoir une véritable inclusion dans les établissements ordinaires, lesquels ont reçu les moyens nécessaires pour accueillir tous les élèves. En Suède, plutôt que de recourir à des accompagnants spécialisés, les enseignants ont bénéficié d’une formation spécifique, et des espaces dédiés ont été créés pour répondre aux besoins des élèves en situation de handicap.
En France, des expérimentations sont en cours, notamment à travers les « pôles d’appui à la scolarité » dans quatre départements (Aisne, Côte-d’Or, Eure-et-Loir, et Var). Ces dispositifs, animés par des enseignants référents et accompagnés d’éducateurs spécialisés, visent à proposer des aménagements pédagogiques ainsi que du matériel adapté pour mieux répondre aux besoins des élèves concernés.
“On ne sait pas combien d’enfants sont dans des écoles ordinaires, car ils n’ont pas trouvé d’établissement spécialité, ni combien sont à la charge de leur famille, car sans solution, donc ce problème de données fiables est absolument nécessaire si l’on veut mener des politiques publics.“
Emmanuel Guichardaz, responsable de projet et chargé de plaidoyer chez Trisomie 21 France.