Entre le 4 et le 9 juin 2024, de nombreux établissements lyonnais ont mis à disposition leurs fourneaux à des cuisiniers.e.s réfugié.e.s pour élaborer des menus uniques. Un événement organisé par Refugee Food, une association qui accélère l’insertion professionnelle des réfugié.e.s dans la restauration grâce à la formation, tout en œuvrant pour une alimentation durable pour tous. Présent dans toute la France, l’association organise son festival de collaborations culinaires entre cuisiniers réfugiés et restaurants locaux chaque année autour du 20 juin, “Journée Mondiale des Réfugié·es”. Un festival à part, à la fois culinaire, culturel et solidaire qui permet de changer de regard sur les personnes réfugiées que Lyon Positif vous fait découvrir de l’intérieur après un repas partagé entre la France et la Côte d’Ivoire.
Une passion partagée au-delà des frontières
7 juin, 12 H 00, le Refugee Food Festival nous donne rendez-vous au restaurant Le Petit Bouclard : 5 Rue des Trois Pierres, dans le 7e arrondissement de Lyon. Un cadre idyllique : une terrasse ensoleillée, remplie de convives, de jolies assiettes colorées et des sourires radieux. Audrey Jambon, la cheffe de cuisine du Petit Bouclard, nous accueille chaleureusement. Cette lyonnaise tient les rênes de ce restaurant depuis maintenant sept ans. Tout en préparant son service, elle nous raconte son parcours.
Après avoir commencé sa formation gastronomique en 2005 à Lyon, dans l’ancien restaurant Raphaële BERANGER , aujourd’hui devenu L’Établi, cette passionnée de cuisine et de voyage n’a pas hésité une seconde lorsque le Refugee Food Festival lui a proposé de participer : “Moi je ne me voyais pas dire non (…) j’ai beaucoup travaillé à l’étranger, donc je trouvais normal à mon tour d’accueillir des personnes dans ma cuisine.”
Cette année donc et pour la première fois, Audrey a accueilli Awa Sylla, une femme réfugiée d’origine ivoirienne. Leur première rencontre, il y a un mois, leur a permis d’imaginer un menu commun et de tester des recettes. Un échange mutuel, très enrichissant pour ces deux femmes unies par une même passion : la cuisine. Audrey avoue ainsi en souriant : “Elle m’a appris à cuisiner du manioc. C’est beau de voir qu’après 20 ans de métier, on arrive toujours à apprendre des choses.”
Awa Sylla, un parcours hors norme
Aux fourneaux depuis 8 H 00, les deux femmes ont imaginé un repas franco-ivoirien. Au menu : un plat à base de fonio, accompagné de ragoût de bœuf ou de ragoût de légumes. Cette céréale est probablement la plus ancienne cultivée en Afrique de l’Ouest, pousse entre le Sahara et les régions tropicales d’Afrique centrale. Awa explique qu’un plat cuisiné à base de fonio est une marque de reconnaissance et de respect pour les hôtes. Un sentiment de gratitude qu’elle a voulu partager dans ses plats tout au long de cette journée spéciale.
Alors que la casserole est encore chaude, Awa accepte avec hésitation et émotion, mais le sourire aux lèvres de nous livrer le récit de sa vie. En 2010, dans un contexte de guerre en Côte d’Ivoire et après avoir vu plusieurs mariages forcés dans sa famille, elle décide de prendre la fuite, entamant un long périple à travers le Ghana, le Bénin et le Mali, pour finir par arriver en Mauritanie, dans un camp de réfugiés mis en place par le HCR, qui l’aident ensuite à s’installer en France en 2019.
Arrivée à Lyon, Awa peine à parler et à écrire le français, mais elle ne se décourage pas et se lance dans l’apprentissage. Elle exerce divers métiers, mais un en particulier lui rappelle qui elle est, sa famille et son histoire : la restauration. Née d’une maman cuisinière et d’un papa boucher, elle suit naturellement une formation de commis de cuisine, puis obtient un CAP de cuisine grâce au programme “Des Étoiles et des Femmes” porté par Weavers à Lyon. Cette longue formation de quatre ans, avec les horaires difficiles bien connus en restauration, est un défi pour cette jeune maman qui, au début, cuisine dans l’école où se trouve sa fille de 5 ans.
Awa connaît le festival depuis trois ans et y participe avec enthousiasme. Quand on lui demande pourquoi, un grand sourire s’affiche sur son visage et elle évoque naturellement les rencontres avec des gens formidables : l’équipe du restaurant, les journalistes, elle qui n’avait jamais parlé à la radio. Lorsqu’elle a rencontré Audrey il y a un mois, une complicité s’est rapidement installée, grâce à des échanges plein de gentillesse et de taquineries. Awa ne cache pas qu’elle passe une journée formidable et se sent “comme chez elle“. Au-delà, elle est heureuse de montrer, à celles et ceux qui goûteront sa cuisine et qui l’écouteront, tout ce qu’elle a accompli en tant que femme, mère et personne réfugiée.
C’est aussi une manière pour elle de se rappeler toutes les belles personnes qui ont croisé son chemin et lui ont tendu la main. Elle n’oublie personne et liste assurément les Nations unies, l’Organisation internationale pour les migrations, l’UNICEF, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, mais aussi toutes les autres personnes réfugiées qui se sont retrouvées dans les mêmes camps qu’elle : “La cuisine, c’est l’amour de l’autre, de l’inconnu et quand tu n’as pas d’amour, tu ne peux pas supporter les gens, ni parler avec eux, alors la nourriture, ça veut dire beaucoup“.
Une histoire inspirante et exemplaire, un parcours riche qui sera un jour certainement, en tout cas, c’est son souhait le plus cher, raconté dans un livre sous la plume de sa fille, car la transmission est essentielle.
“Je ne veux pas oublier, car on m’a trop aidé et je veux montrer que quand on aide les gens à s’intégrer et bien ça marche.”
Awa Sylla, cheffe associée pour le Refugee Food Festival