Quel avenir pour les étudiants de l’Économie Sociale et Solidaire

03/04/2024 -- paru surLyon Positif

Ce titre d’article, c’est la question que nous nous sommes posée à la suite d’une enquête menée par les étudiants du Master 2 Gouvernance des Organisations de l’Économie Sociale et Solidaire (GOESS) auprès de leurs pairs à l’Université Lumière Lyon 2, ainsi qu’auprès de divers acteurs de l’ESS. Cette enquête révèle les tensions présentes dans les métiers de l’ESS, les conditions de travail pesantes et leurs aspirations professionnelles.

Des étudiants démotivés

Jeudi 22 février, les étudiants ont partagé devant l’ensemble de l’amphithéâtre Lucie Aubrac leurs inquiétudes vis-à-vis du marché de l’ESS. Pour mener à bien leur enquête (dans le cadre de leur parcours scolaire) ils ont bénéficié d’un mois pour organiser des ateliers de recherche participative, interroger leurs intervenants, les étudiants et les structures au sein desquelles ils effectuent leur alternance, au plus près du terrain.

Alors que le gouvernement avait annoncé il y a quelques semaines 10 milliards d’euros d’économies dans le budget de l’État en 2024, on parle aujourd’hui de 20 milliards d’ici un an. Un manque à gagner évalué à plus de 2 milliards d’euros en 2024 pour les structures du secteur de l’ESS selon l’UDES (Union des employeurs de l’Économie Sociale et Solidaire). Les domaines les plus touchés sont : l’aide à l’accès au logement, le handicap et la dépendance, l’asile, l’intégration, la solidarité et bien d’autres… Les étudiants dénoncent alors une forme de “normalisation de la précarité”, surtout présente dans le secteur associatif, qui plonge toujours plus ces structures dans la précarisation et la fragilité : “Sommes-nous des précaires qui aidons des précaires ?” dénonce un étudiant et alternant dans une association lyonnaise qui lutte contre le mal logement.

Dans le milieu associatif et dans les métiers d’engagement, on connait déjà ce problème : jusqu’où faut-il aller pour la cause ? Cette insécurité financière est un facteur aggravant pour le secteur. Toujours plus de missions différentes pour moins de personnel. On parle alors de “sur-engagement” : “C’est vrai que quand on est engagé dans une cause qui nous tient à cœur, on oublie ses limites”, reconnaît Adam AHMADI, coordinateur du programme de sensibilisation et d’idéation chez SINGA Lyon.

Il n’y a pas que les conditions de travail qui jouent. C’est un tout. Par exemple, connaissez-vous le traumatisme vicariant ? C’est le terme pour expliquer une réaction au stress d’assister et d’entendre parler de la douleur et de la souffrance d’autrui, tout en continuant malgré tout à aider et soutenir. Un sujet encore peu traité dans les associations selon les élèves du Master. De même pour le délégué régional à l’URSCOP AURA, Grégoire Briand, qui relève un réel manque d’accompagnement : “On pourrait discuter de cela avec le Master pour réfléchir ensemble à comment mieux accompagner ces structures mentalement qui accompagnent eux-mêmes des personnes fragiles.”

Mais le phénomène de dévalorisation et de tension des métiers de l’ESS ne date pas d’hier. Principalement ressenti dans les secteurs de l’action sociale et de la santé, les tensions du marché du travail dans l’ESS sont en hausse depuis 2015 selon le Guide “Mutualisation des emplois et des compétences dans l’ESS” en Auvergne-Rhône-Alpes. Pourtant, à l’image du village d’irréductibles Gaulois qui résiste encore et toujours à l’envahisseur, certaines structures de l’ESS parviennent à survivre, même à se développer sans faire l’impasse sur leurs valeurs.

Quelques exemples Lyonnais

Aujourd’hui, 13 petites cantines peuplent le territoire français avec 30 salariés au niveau national pour permettre de cuisiner local, de saison, partager un repas et finalement tisser des liens dans son quartier pour lutter contre l’isolement : « En 2020, il y avait 1 salarié et en 2024 : 12 salariés et aucune cantine n’a jamais fermé ! » déclare Camille Degouey, responsable communication des Petites Cantines. Concernant le sujet épineux de la précarisation du secteur, elle en est consciente, mais deux personnes qualifiées sont exclusivement dédiées à la recherche de subventions et de fonds, ce qui ne représente donc pas une source d’inquiétude pour le réseau. Par expérience, selon Camille, les structures de l’ESS ne doivent pas se rendre dépendantes des subventions et des changements politiques et c’est là que réside leur pérennité. En complément des subventions, le réseau national propose des formations aux entreprises, alors que de leur côté, les petites cantines locales vivent grâce aux prix libres de leurs clients et à leur activité de traiteur, une indépendance que partage aussi Le Moulin.

Né en 2006, Le Moulin est aujourd’hui une entreprise de l’ESS spécialisée dans la livraison de restauration artisanale, à 50 % bio et en circuit-court. Cette entreprise propose des repas livrés en véhicules électriques, récupérables en boutique (49 avenue des Frères Lumière, 69008 Lyon), aux pieds des bureaux ou dans les entreprises partenaires. Comptant plus de 80 salariés, Le Moulin, en tant qu’entreprise d’insertion, intègre profondément un engagement écologique et social dans son fonctionnement.

Entrée dans la Convention des entreprises pour le climat l’année dernière, l’association base son modèle décisionnel sur les trois piliers du Développement Durable : l’entreprise doit être économiquement viable, socialement équitable et écologiquement responsable, selon son fondateur, et co-gérant Tom Thiellet : “Aucun de ces piliers ne doit être favorisé au détriment des autres.” De plus, en tant qu’entreprise d’utilité sociale, Le Moulin bénéficie de l’agrément ESUS depuis 2015, un label qui ouvre des portes pour attirer des investisseurs et accéder à certains financements et réductions fiscales dans le domaine de l’ESS. Malgré son engagement et son utilité, la période sombre de la COVID laisse un arrière-goût de dettes à l’État que son fondateur qualifie de “toxique”. Pour la première fois, la situation économique est compliquée et l’entreprise travaille dur pour cultiver son autosuffisance. En plus de son activité de livraison, Le Moulin développe une activité événementielle de traiteur et prévoit d’ouvrir fin avril 2024, un nouveau site de production à Villeurbanne, au Grand Plateau, un espace temporaire dédié aux acteurs de la mobilité douce.

Quelles solutions pour les entreprises ?

On a beaucoup parlé à Lyon et en France grâce à Laurent de la Clergerie de la semaine de 4 jours. Le Moulin, par exemple, malgré les difficultés essuyées ne laisse pas la santé mentale de ses salariés de coté et lance dès ce mois d’avril la semaine de 4 jours.

On tient à ce que personne ne se crame et à maintenir notre engagement même dans des périodes économiquement compliquées.” Une démarche que son fondateur qualifie de “rare” dans la restauration rapide, un secteur aussi concurrentiel. Les Petites Cantines aussi, ont franchi le cap de la semaine de 4 jours pour le bien-être de ses salariés en 2022 et elles ne se sont pas arrêtées là. Des “chantiers, bien-être des salariés” sont régulièrement organisés entre les équipes nationales et les représentants des petites cantines pour améliorer leurs conditions de travail. Ces réunions ont permis de mettre en place une meilleure mutuelle, une formation continue à la prise de poste pour les responsables de cantine et les bénévoles ainsi qu’un suivi continu pour soulager l’organisation globale : “Ce n’est pas parce qu’on est dans le milieu associatif, qu’on doit répondre à tous les clichés” répond Camille Degouey.

Toujours soucieuse de la santé mentale de ses membres, les petites cantines ont fait appel à la Fondation de France pour former ses équipes à la prévention du burn-out ainsi que le dispositif “Les Girafes”, permettant de bénéficier de deux consultations gratuites avec un psychologue ou un coach. La santé mentale s’entretient professionnellement par la gouvernance, un levier essentiel dans l’ESS, notamment pour Le Moulin, qui accorde une grande importance au fait que la rémunération de chaque salarié soit fixée par consentement, une véritable innovation sociale.

Au sein du restaurant, la rémunération est une décision collective validée par consentement, en intelligence collective pour que les décisions soient prises en transparence et “en conscience éclairée” explique son fondateur.

“Il y a une différence entre grandir, pour se développer et faire croître ses impacts et grossir pour acquérir toujours plus de part de marché”

Tom Thiellet, fondateur du Moulin.

L’ESS est souvent un laboratoire des nouvelles pratiques : transparence des salaires, innovation de management ou de gouvernance, etc. Elle n’en reste pas moins essentielle à l’économie du pays, la solidarité et les transitions des territoires. L’ESS, bientôt la nouvelle norme pour l’économie française ?

Pour aller plus loin :

Vous pouvez écouter le podcast de l’Économie Sociale et Solidaire : “le Podcast à Gillou” animé par Gilles Larvaron, ou lire l’article de Matthieu Hély qui a travaillé sur la thèse du doctorant en sociologie, Simon Cottin-Marx, consacrée à la genèse du réseau des dispositifs locaux d’accompagnement (DLA) qui accompagne les associations ayant des activités économiques depuis le début des années 2000.

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